
MON AMI CHIM
Chim, comme Capa, était Parisien de Montparnasse. Il avait l’intelligence d’un joueur
d’échecs ; avec son allure de prof de maths il appliquait à bien des domaines sa
vaste curiosité et sa culture. Nous étions amis depuis 1933. La sureté de son esprit
critique était vite devenue indispensable a son entourage. La photographie était
pour lui un pion qu’il déplaçait sur le damier de son intelligence méticuleuse. Mais
un de ses pions de réserve était sa délicatesse gastronomique qu’il maniait d’une
manière doucement autoritaire en commandant les bons vins et les plats cuisinés. Il
avait une élégance ; ses cravates de soie noire. Sa clairvoyance, sa délicatesse lui
donnait souvent un sourire triste, parfois désabusé, qui s’épanouissait lorsqu’on le
cajolait. Il donnait et réclamait beaucoup de chaleur humaine. Il avant tant d’amis
partout ; il état ne parrain. Lorsque je suis venu annoncer sa mort à son ami David
Schoenbrun, dans la conversation qui suivit, il me dit : « Vous et moi, nous nous
connaissions peu. Et pourtant Chim était notre ami commun. Mais Chim était un
monsieur a tiroir et il oubliait de les faire communiquer entre eux. Il acceptait les
servitudes de son métier et dans des situations qui semblaient si étrangères à son
personnage, il se dévoilait courageux. Chim tirait son appareil photographique
comme le médecin son stéthoscope de sa trousse, apportant son diagnostic sur
l’état du cœur : le sien était vulnérable.
Henri Cartier Bresson.